La ville de Bayonne est célèbre pour sa tradition chocolatière et est considérée comme la capitale française du chocolat. Les chocolatiers font la fierté de la ville et de ses guides conférenciers. Des chocolateries exceptionnelles peuplent ses quartiers et rendent heureux les gourmands d'ici et d'ailleurs, dont font partie de nombreux participants de mes visites guidées de Bayonne. Mais, quelle est l’origine du chocolat ? Depuis quand fait-iC partie de la gastronomie bayonnaise? Comment est-il arrivé parmi nous? Découvre les réponses à toutes ces questions dans ce post !
Le chocolat est né dans les cultures préhispaniques d'Amérique Centrale, concrètement dans la civilisation Maya, où le cacao était cultivé déjà en zones côtières du Chiapas (Mexique), Guatemala et d'El Salvador. Pour les anciens mayas, la boisson obtenue, en mélangeant des fèves de cacao torréfiées et moulues avec de l'eau, avait un caractère sacré. En effet, le chocolat était toujours présent dans les offrandes rituelles et les cadeaux, ainsi que dans les moments importants de la vie, tels que les naissances ou le passage de l'enfance à l'adolescence. Encore aujourd'hui, chez les lacandons du Chiapas (héritiers de la culture maya), des fèves de cacao sont échangées entre les fiancés.
Plus tard, après la conquête des anciennes régions mayas d'Amérique centrale par les Mexica (ou Aztèques), le cacao deviendra un produit d'une extrême importance pour son empire. Il semble que le mot "chocolat" trouve son origine dans le terme Xocoatl, qui désignait cette préparation culinaire en langue nahuatl*. Le chocolat était si important pour eux, qu'ils exigeaient un tribut en fèves de cacao aux différents peuples dominés qui vivaient sur leurs vastes domaines.
Nous savons qu'au XVIe siècle, à l'arrivée du "conquistador" espagnol Hernán Cortés dans l'actuel Mexique, le cacao était accepté en Méso-amérique comme monnaie dans toutes les transactions commerciales; à tel point que le cacaoyer a été qualifié par les premiers européens d'«arbre à monnaies», et beaucoup ont dû être impressionnés de voir que les mêmes «amandes» (fèves de cacao), utilisées comme argent, étaient également utilisées pour préparer une boisson mystérieuse.
Cependant, le chocolat des Aztèques n'était pas encore la boisson sucrée et populaire que nous connaissons aujourd'hui. Ils mélangeaient le cacao avec de l'eau et des épices, comme la vanille ou différents piments. Pour eux, c'était une boisson sacrée et ils aimaient la servir avec de la mousse. En effet, dans les somptueux banquets organisés par le célèbre empereur Moctezuma, la cerise sur le gâteau était toujours des succulentes carafes de Xocoatl, bien mousseux, dont on disait qu'il avait des vertus aphrodisiaques.
Il semble que l'endroit où le Xocoatl est devenu le doux péché que nous connaissons aujourd'hui fût un couvent de missionnaires carmélites d'Oaxaca au XVIe siècle. Les religieuses l'adaptèrent pour la première fois aux goûts européens en y ajoutant du sucre de canne, qui venait d'arriver avec les Espagnols sur le continent américain. Il semblerait aussi que c'est dans l’environnement paisible des couvents d'Oaxaca, que l'art de préparer du chocolat à la tasse est né, ainsi que les ustensiles encore utilisés aujourd'hui dans leur fabrication artisanale, tels que la chocolatière et le moussoir à chocolat. Ces outils sont toujours utilisés dans la chocolaterie Cazenave à Bayonne, qui sert une ancestrale et délicieuse recette de chocolat mousseux.
Une fois sucrée, la délicieuse préparation commencera à quitter les couvents d'Oaxaca, pour ravir une grande partie de la population créole de la vice-royauté de Nouvelle-Espagne. On vantait ses vertus médicinales et même son utilité pour éviter les «obstructions intestinales». Cependant, d'autres considéraient le chocolat comme une boisson dangereuse et nocive, et dans une société profondément superstitieuse, certains l'accusaient d'être une préparation démoniaque et obscène. Quoi qu'il en soit, le saut du chocolat de l'Amérique à l'Europe était sur le point de se produire.
Bien que l'on soupçonne Hernán Cortés d'avoir présenté le cacao à l'empereur Charles V quelques décennies plus tôt, on sait que le premier transport de cacao vers l'Europe dont nous avons des registres fût celui d'un galion espagnol qui a quitté Veracruz (aujourd'hui Mexique) et est arrivé au port de Séville en 1585. Cependant, la véritable expansion du chocolat dans la société espagnole de l'époque ne se produira pas avant le XVIIe siècle. C'est à ce moment que sa consommation devient une mode, et sa fabrication commence à être importante, créant de nombreux "addicts". Le grand écrivain du siècle d'or espagnol, Francisco de Quevedo y Villegas, viendra insinuer que l'expansion rapide de la mode du chocolat dans la péninsule ibérique, était la revanche des colonies américaines pour la conquête. On dit qu'il était lui-même accro à ce doux plaisir, à l'époque, très onéreux.
Pendant le XVIIe siècle, l'art de la fabrication du chocolat commence à se répandre de l'Espagne vers d'autres territoires européens, bien que de manière minoritaire, en tant que produit pour les élites. Des chocolatiers de renom feront très vite leur apparition en Italie. En France, on présume que la mode du chocolat a atteint la cour de France en 1615, grâce à l'infante espagnole Ana d'Autriche, mariée au roi de France Louis XIII. Ce qui semble certain c'est qu'après son mariage avec Louis XIV en 1660 Marie-Thérèse de Habsbourg, une autre infante d'Espagne, amena sa servante "Molina" avec elle à Versailles. Cette dernière était réputée pour son habilité dans l'utilisation du moussoir et la préparation d'un délicieux chocolat mousseux. Les mauvaises langues disaient que l'infante était une grande gourmande et que l’état de ses dents en était la preuve.
Mais alors que dans la France de l'époque le chocolat n'était qu'une coutume de cour, il y avait une ville où sa consommation commençait déjà à se répandre parmi la population aisée : Bayonne, ville portuaire située au carrefour des routes commerciales entre la France et l'Espagne. Ceci s'explique par les relations culturelles, commerciales et même familiales étendues et étroites qui existaient entre la bourgeoisie de Bayonne et celle des ports du nord du Royaume d'Espagne, comme Saint-Sébastien, qui ont favorisé le transfert de cette coutume culinaire exotique.
Même si à la fin du XVIIe siècle, la haute société de Bayonne continue d'importer du chocolat espagnol - référence de qualité à l'époque - très tôt (1687) une activité chocolatière florissante se développe à Bayonne, liée au dynamisme des Juifs séfarades venus d'Espagne et du Portugal et installés au quartier de Saint-Esprit. Beaucoup d'entre eux arrivent à la périphérie de la ville depuis le XVIe siècle, fuyant l'atmosphère de répression religieuse qui régnait dans la péninsule ibérique.
L'importance de la communauté "israélite" dans le développement ultérieur de "l'industrie" du chocolat de Bayonne au XVIIIe siècle sera fondamentale. Ces derniers entretiendraient d'excellentes relations commerciales avec la diaspora séfarade des ports portugais et hollandais, qui deviendront bientôt d'importants centres de commerce international et de contrebande de cacao, défiant la tentative protectionniste de la couronne espagnole, défendue par la Real Compañía Guipuzcoana de Caracas ( 1728- 1785), basé à Saint-Sébastien. À cette époque, le cacao le plus cher et le plus apprécié au monde était le "caracas", qui provenait de l'actuel Venezuela.
Tout au long du Siècle des Lumières, grâce au dynamisme de la communauté séfarade bayonnaise et l'installation de chocolatiers guipuscoans de renom dans la ville, Bayonne deviendra une référence européenne dans la fabrication de chocolat de qualité. La mise au point en 1780 d'une machine à vapeur permettant de mécaniser la fabrication du chocolat fût également de Bayonne une ville pionnière dans la mécanisation naissante de l'artisanat du chocolat en France.
Au cours du XIXe siècle, la révolution industrielle et l'amélioration des communications ont apporté une plus grande efficacité tant dans la culture-transport du cacao que dans la production du chocolat, ce qui a réduit son coût et facilité l'accès de nouvelles couches de la société à sa consommation. C'est à cette époque que les producteurs de chocolat se multiplieront à Bayonne et que de nombreux salons seront créés pour le déguster. Certains des chocolatiers les plus renommés de Bayonne datent de cette époque, comme Cazenave (1854), Pariès (1895) ou Daranatz (1890). Ils recevront une reconnaissance nationale et internationale. Le XIXe siècle peut être considéré comme « l'âge d'or » du chocolat à Bayonne.
Avec l'arrivée du 20e siècle, l'industrialisation et la démocratisation définitive de la production de chocolat ont contribué à l'apparition de grands groupes industriels internationaux qui offriront des options pour tous les budgets. La ville de Bayonne est restée à l'écart de ce phénomène, perdant un peu de notoriété en cours de route.
Mais le savoir-faire artisanal de quelques chocolatiers centenaires a survécu jusqu'à nos jours. Grâce à leur bon travail et à l'apparition de nouveaux producteurs de qualité avec des propositions innovantes, nous pouvons affirmer qu'au 21ème siècle, nous assistons à un deuxième "âge d'or" du chocolat à Bayonne. À une époque où l'on valorise de plus en plus l'artisanat, la fabrication avec soin, les recettes ancestrales et le bean to bar, le chocolat de Bayonne est plus que jamais un attrait indéniable. Et l'Académie du Chocolat de Bayonne, regroupement des producteurs et amateurs du chocolat, s'occupe de "défendre et faire vivre ce patrimoine gourmand qu’est le chocolat".
Rejoignez l'une de mes visites guidées de Bayonne et savourez avec moi le chocolat, l'histoire et le patrimoine de cette magnifique ville.
*Langue parlée par les Aztèques à l'époque et par des millions de personnes encore au Mexique aujourd'hui.
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